BONN (Allemagne) - "Je pense que le summum ou le sommet dans les sports collectifs, c'est quand vous êtes capable de vous exprimer dans le cadre du système", dit Tuomas Iisalo.

C'est ainsi que l'entraîneur de Telekom Baskets Bonn décrit l'état de performance absolue dans les sports collectifs, lorsqu'un athlète est capable d'agir au sein d'un système collectif sans réfléchir, tout en restant complètement en phase avec ses coéquipiers.

L'équipe de Telekom Baskets Bonn d'Iisalo n'est peut-être pas (encore) au sommet de la Basketball Champions League mais, par moments cette saison, elle a ressemblé à une équipe traversant la crête avec le sommet en vue.

Beaucoup de gens pensent que nous jouons un style de basket très libre parce qu'il semble qu'il n'y a pas beaucoup de réflexion, mais quand vous faites vraiment bien les choses de base, c'est souvent comme ça - Tuomas Iisalo

 

Leur victoire de mercredi soir sur Rytas Vilnius leur a permis d'engranger un neuvième succès consécutifs et de décrocher le deuxième billet pour les quarts de finale. Le premier billet a été obtenu par Lenovo Tenerife. Nous avons pris l'habitude de voir les champions se montrer impitoyables à cette période de l'année, mais ce n'est pas le cas de Telekom Baskets Bonn.

En fait, depuis la création du club en 1992, c'est seulement la cinquième fois que le club allemand atteint ce stade d'une compétition continentale, la dernière fois étant le FIBA EuroChallenge en 2013. La BCL est toutefois très différente de l'EuroChallenge. C'est seulement la deuxième fois que le club parvient à dépasser la saison régulière et ce sera sa toute première participation aux quarts de finale de la BCL.

 

Selon Iisalo, la façon dont les choses se présentent lorsqu'une équipe est au sommet raconte une histoire très différente de celle du voyage pour gravir cette montagne. "Je pense que beaucoup de gens croient que nous jouons un style de basket très libre parce qu'il n'y a pas beaucoup de réflexion, mais quand vous faites très bien les choses de base, c'est souvent comme ça", a-t-il déclaré.

En réalité, il s'agit plutôt d'un travail de répétition sur les bases à assimiler. "Si vous venez à notre entraînement ou si vous interrogez nos joueurs, ils vous diront que c'est le plus grand nombre de détails que nous ayons jamais eu dans notre vie de basketteur, et que cela demande énormément d'efforts et de concentration. Les gens ne comprennent pas à quel point c'est difficile à faire au quotidien", explique Iisalo.

Si nous regardons l'extrait ci-dessous du match contre Rytas, nous pouvons voir exactement ce qu'Iisalo décrit :

• A première vue, on pourrait croire que Bonn prend le rebond, remonte rapidement le terrain, et joue librement dans la moitié du terrain. Ce que l'on voit en réalité, c'est une équipe avec une structure très claire.
• Regardez le numéro 7, Sebastian Herrera, lâcher le ballon quand la première tentative de jeu rapide est stoppée et aller occuper instantanément le coin opposé pour leur donner l'espace nécessaire à leur deuxième attaque.
• Ensuite, regardez le ballon arriver au numéro 21, Leon Kratzer, et dès qu'il se tourne de l'autre côté du terrain, Bonn réagit sans réfléchir et passe à la phase suivante de l'attaque.
• On notera également le deuxième écran que Kratzer place sur son propre joueur après le pick-and-roll et surtout la façon dont Kratzer et Herrera lisent la défense, réagissant rapidement et sans avoir besoin de réfléchir.

 

 

Si l'on considère le parcours d'Iisalo pour arriver à ce stade de sa carrière d'entraîneur, il devient évident qu'il a toujours été obsédé par les détails, même lorsqu'il était joueur.

Ce trait de caractère est également partagé par son frère Joonas, qui est aujourd'hui entraîneur à Heidelberg dans la BBL allemande, ce qui fait d'eux une paire unique de frères entraînant en même temps dans l'une des meilleures ligues européennes de basket-ball.

"Tout a commencé en 1993, lorsque nos grands-parents nous ont donné des cassettes VHS qu'ils nous envoyaient en bus jusqu'à notre ville natale, car c'était le seul moyen de les voir", se souvient Tuomas Iisalo.

"Nous avons beaucoup étudié le jeu afin de nous améliorer en tant que joueurs. Nous observions les actions de Reggie Miller, la technique de tir d'Allan Houston, la défense sur le ballon de Scottie Pippen. Nous étions complètement fous, mais nous avions aussi une approche quelque peu, disons, analytique", explique-t-il.

On peut dire sans risque de se tromper qu'à la fin des années 90, étudier la NBA de cette manière n'était pas la façon dont le jeune Finlandais moyen consommait la NBA. Les frères Iisalo avaient déjà quelque chose de différent.

 

Cette "folie" pour les détails et cet esprit analytique du jeu étaient particulièrement adaptés au développement dans le système finlandais. Selon Iisalo, cela s'explique notamment par le fait qu'il a eu accès à un ensemble de mentors.

"J'en ai fait partie en tant que membre de l'équipe nationale masculine et beaucoup de bons entraîneurs sont passés par la Finlande. J'ai eu la chance de jouer pour plusieurs bons entraîneurs, Gordon Herbert, l'entraîneur de l'équipe nationale allemande, Jukka Toijala, l'entraîneur de l'équipe nationale estonienne, Henrik Dettmann, l'entraîneur de l'équipe nationale finlandaise, et puis j'ai eu un mentor en la personne de Harri Mannonen, qui avait toujours 15 à 20 ans d'avance sur son temps", a expliqué Iisalo.

Mannonen lui-même est un entraîneur connu pour ne pas avoir peur de penser différemment et c'est clairement quelque chose qui a eu un impact sur les frères Iisalo. "Il nous a vraiment donné, à Joonas et à moi, cette idée que notre façon de faire n'était pas forcément un hobby. C'est quelque chose que Harri disait toujours. "Ce qui compte, ce n'est pas le sérieux avec lequel on prend le basket. Ce qui compte, c'est le temps que l'on y consacre". a déclaré Iisalo.

 

L'équipe

Un entraîneur peut passer chaque heure de la journée à être obsédé par les détails et à essayer de construire le meilleur système possible pour les joueurs de l'équipe, mais en fin de compte, ce sont les joueurs qui entrent sur le terrain et qui doivent exécuter, ou comme le dit Iisalo, "ce sont eux qui font tout le gros du travail".

L'équipe de Bonn est pleine d'exemples de joueurs qui excellent dans leur rôle. T.J. Shorts attire naturellement l'attention avec sa saison digne d'un MVP et, avant sa blessure, Jeremy Morgan affichait une moyenne de 12 points et 3,6 rebonds avec des pourcentages aux tirs parmi les plus efficaces de la ligue.

La polyvalence de Finn Delany au poste d'ailier fort a rendu facile sa transition vers le jeu européen ainsi que son intégration dans le système lui-même. Tyson Ward et Collin Malcolm ont attiré l'attention toute la saison à l'aile, comme nous l'avons vu dans le premier clip, Leon Kratzer semble progresser au fil du match, son rôle devenant de plus en plus comme une seconde nature.

En vérité, même si cette équipe compte des joueurs qui réalisent des saisons remarquables sur le plan individuel, l'ensemble est toujours plus important que la somme de ses parties. Comme nous l'avons vu avec les 14 points de Karsten Tadda lors du premier match contre Rytas, ou les 14 points de Herrera à domicile contre Bahcesehir College, il y a des joueurs dans tout l'effectif qui se sont montrés à la hauteur quand l'équipe en avait besoin.

Bonn Basketball

"Je sais que les gens disent que nous avons un style de jeu distinct, mais c'est notre identité. Nous allons vous devancer, nous allons vous battre avec des réactions collectives, et c'est ce qui fait notre identité", a déclaré Iisalo.

"Nous voulons prendre des décisions très rapides, et quand c'est comme ça, c'est très difficile à défendre parce que tout se passe très vite".

Si l'on veut voir ce que la folie du détail et la concentration sur les réactions de l'équipe donnent sur le terrain lorsque Bonn joue au basket, il ne faut pas attendre longtemps avant d'en avoir une idée. Regardez les flèches sur l'écran dans le clip ci-dessous :

 

La première flèche vous montre que Rytas changent sur l'écran porteur, et la seconde vous montre la rapidité avec laquelle le numéro 70, Finn Delany, réagit au changement et demande la balle au poste.

Ensuite, regardez le numéro 3, Tyson Ward, lire que son défenseur a aidé tôt sur le mismatch causé par le changement défensif. La coupe de Ward provoque plus de rotations défensives sur le côté faible et l'erreur qui finit par casser la défense lorsque deux défenseurs se rapprochent du #0, T.J. Shorts.

Dans le clip suivant, nous voyons Finn Delany nous donner un nouvel exemple de sa polyvalence et d'un détail que Bonn réalise si bien tous les soirs.

Regardez comment il attrape le ballon en mouvement pour se donner un pas de plus dans son drive. S'il se trompe, c'est un marcher facile à siffler pour les officiels, mais Bonn se trompe rarement sur les détails :

 

La vitesse ou le tempo est un autre élément clé du style de basket-ball pratiqué par Bonn. Le ballon doit franchir la moitié du terrain avant que l'horloge indique 21 secondes et si cela signifie qu'ils n'ont pas besoin de trouver le meneur de jeu en premier pour jouer leur attaque, alors qu'il en soit ainsi.

"Nous avons une certaine structure pour notre attaque précoce ici, qui commence généralement par un écran glissant entre les postes un et cinq, mais cela peut être n'importe qui qui remonte le ballon", a déclaré Iisalo.

Ici, Ward prend le rebond et s'élance. Il scrute le terrain, mais dès qu'il n'y a pas de passe facile, il n'y a pas d'hésitation ou de pause pour permettre à la défense de s'installer.

Observez également la rapidité avec laquelle le n°6 Michael Kessens se dégage de l'écran pour éviter la faute offensive et créer des problèmes dans la couverture défensive.

 

 

Sur demi terrain, Iisalo fait souvent référence à des "entrées" par opposition à des appels de jeu fixes. Il s'agit d'utiliser un ensemble différent d'actions et d'alignements de positions pour entrer dans le même système avec des réactions très similaires à la défense, quelle que soit l'entrée utilisée.

L'une des entrées les plus courantes que vous verrez à Bonn est l'entrée "décalée". Ils utilisent des écrans décalés et un joueur qui passe d'un côté du terrain à l'autre et différentes options sur la façon d'entrer dans l'action à partir de là.

Dans le clip ci-dessous, on voit le numéro 9, Karsten Tadda, faire une coupe à la Iverson à travers le terrain. Dans ce cas, Shorts ne fait pas la passe mais Bonn utilise l'espace et la séparation créés pour lancer un pick-and-roll.

 

 

L'un des thèmes récurrents de l'attaque de Bonn est l'espacement conçu pour laisser la raquette ouverte. Ils ont des porteurs de balle dynamiques et offensifs, qui savent exactement comment tirer profit de toute perte de concentration de la part de la défense.

Regardez T.J. Shorts dans le clip ci-dessous, il nous montre exactement quel est l'avantage de laisser la peinture ouverte. Le clip se déroule très rapidement, mais vous pouvez voir que Bonn est préparé pour utiliser une entrée décalée, mais Shorts a senti une opportunité encore plus tôt et a réagi.

 

Si nous devions choisir une action sur demi-terrain qui définit le style de jeu de Telekom Baskets Bonn, ce serait la façon dont ils utilisent les coupes "Iverson" pour entrer dans leur attaque. Nommé d'après Allen Iverson, ce type de coupe implique une coupe horizontale parallèle à la ligne de lancer franc pour attraper le ballon, généralement avec l'utilisation d'un ou deux écrans pour éliminer les défenseurs gênants.

Sans surprise, la relation d'Iisalo avec cette action est née de l'étude de séquences de matchs de la NBA au début de sa carrière. Je pense que l'auteur est Austin Kleon, qui a écrit un livre intitulé "Steal Like an Artist" (Voler comme un artiste). a déclaré Iisalo. "Lorsque je débutais en tant qu'entraîneur dans la ligue finlandaise, l'une des équipes que je regardais beaucoup à l'époque était les Dallas Mavericks et ils avaient une construction d'équipe similaire à celle de l'équipe que j'avais à l'époque", a-t-il expliqué.

Cette équipe de Dallas en 2014 avait Jason Kidd au poste d'arrière, Tyson Chandler comme pivot roulant vers le rebord, et bien sûr Dirk Nowitzki comme poste 4 s'écartant au large. Ils utilisaient la coupe d'Iverson pour que Jason Kidd ou parfois Monta Ellis puissent lancer leur attaque.

Dans ce clip, nous voyons l'entrée d'Iverson à Bonn. On voit le numéro 20, Jeremy Morgan, faire la coupe Iverson et Kartsen Tadda couper ligne de fond pour changer de coins et confondre les rotations défensives lorsqu'il s'agit d'aider sur le pick-and-roll. Imaginez Jason Kidd qui voit T.J. Shorts et Tyson Chandler rouler vers le lob, comme le fait Leon Kratzer :

 

Le clip suivant nous donne un autre aperçu des sommets auxquels Iisalo fait référence. Nous voyons Bonn utiliser la même entrée d'Iverson que dans le clip que nous venons de regarder, mais cette fois, Manresa tente de les prendre au dépourvu avec une défense de type "Box and One".

Cherchez les flèches sur l'écran pour voir où quatre défenseurs de Manresa créent une défense de zone en forme de boîte qui permet au dernier défenseur de poursuivre Shorts partout où il va. Remarquez également la façon dont Finn Delany attrape en mouvement pour créer ce pas supplémentaire :

 

Nous avons interrogé Iisalo sur ce clip spécifique et il nous a expliqué que son système n'exécute pas d'actions spécifiques pour attaquer les ajustements défensifs comme les zones, au lieu de cela, il veut supprimer la réflexion et faire confiance au système pour s'adapter à tout ce que la défense lui propose.

"Ce que j'aime, c'est que la défense montre quelque chose que nous n'avons jamais vu, mais il n'y a pas de charge cognitive sur les joueurs, ils sont complètement en mode action, ce qui est l'essence même de notre équipe", a déclaré Iisalo.

Là encore, il s'agit d'une mentalité à laquelle Iisalo s'est référé en étudiant d'autres entraîneurs. "Nous continuons à jouer notre propre jeu et nous savons que les défenses feront des erreurs. Pour reprendre les mots de Mike D'Antoni, "ils vont se tromper, mais c'est à nous de nous assurer que nous trouvons comment ils se trompent".

Le fait d'utiliser les mêmes actions de base et de laisser les détails et les réactions des joueurs battre la défense a également présenté des avantages pour Bonn et Iisalo lorsqu'il s'est agi de réintégrer Javontae Hawkins dans le groupe au milieu de la saison.

Les systèmes de ce type demandent souvent un temps d'adaptation, mais Hawkins est revenu après son passage à Limoges et a marqué 20 points et délivré 5 passes décisives lors de son premier match.

Dans ce clip, nous voyons la même entrée d'Iverson et cette fois Hawkins transmet la balle à Herrera sur l'aile. Observez Hawkins lorsque la balle arrive au poste, remarquez comme il sait très tôt où la rotation défensive va s'effectuer et qu'il demande la balle avant la première passe, puis la passe supplémentaire arrive finalement jusqu'à lui.

 

Ce style de recrutement qui consiste à utiliser les joueurs qui reviennent pour faire tourner le moteur est quelque chose que nous avons vu pendant des années de la part de Txus Vidorreta à Tenerife, une autre équipe réputée, voire notoire, pour son système offensif (et défensif) presque obsessionnellement précis.

Bien que le fait que Bonn et Tenerife soient les deux premières équipes qualifiées pour les quarts de finale soit certainement une coïncidence - surtout si l'on considère à quel point le style de basket est différent entre elles - ce qui n'est pas une coïncidence, c'est qu'il s'agit sans aucun doute de deux des équipes les mieux entraînées de la ligue cette saison.

La saison

Après avoir hérité de l'AEK et Pinar Karsiyaka dans leur groupe de la saison régulière, peu de gens auraient prédit que Bonn serait l'équipe qui terminerait en tête du groupe. Leur seule défaite dans le groupe, à domicile contre UNAHOTELS Reggio Emilia, était peut-être encore plus imprévisible.  

Cependant, le fait qu'ils n'aient pas encore perdu un seul match du Round of 16 était presque entièrement prévisible. Cette équipe tourne à plein régime. Il n'est pas surprenant qu'elle occupe la troisième place de la BCL en termes de Net Rating (+12,9 pour 100 possessions), seuls les géants de l'ACB, Tenerife et Unicaja, étant au-dessus d'elle.

En fait, à ce stade de la saison, ces trois équipes seraient les grandes favorites de la plupart des gens lorsqu'il s'agit de prédire qui jouera le Final Four en mai. Ce seul fait témoigne de la qualité de leur jeu.

Il reste cependant un chemin escarpé à parcourir pour que Bonn atteigne le sommet, ce dont Tuomas Iisalo est sans aucun doute parfaitement conscient. La prochaine étape est un match important contre BAXI Manresa à domicile.

Un match qui pourrait leur assurer la première place du groupe et l'avantage du terrain en quart de finale. Ce n'est pas le moment de se laisser distraire par des rêves, mais si l'on en croit les résultats de la saison, cette équipe de Bonn n'est pas du genre à se laisser distraire.

Au contraire, elle s'efforcera de rester concentrée sur les détails et de faire confiance à la route qu'elle empruntera.